Cooptation : solution miracle ou solution mirage ?

La DRH a inventé dans le groupe un nouveau vecteur de recrutement : la cooptation. Inventer, pas tout à fait, car cette méthode est utilisée dans beaucoup d’entreprises. Mais souvent dans un cadre strict pour éviter les dérives inhérentes au système. Chez AG2R LA MONDIALE, aucun cadre, donc beaucoup de dérives à prévoir.

Aujourd’hui, les entreprises ont recours de plus en plus souvent à la cooptation, par souci de faciliter le recrutement dans un contexte où les propositions d’embauche restent sans réponse. C’est le cas pour AG2R LA MONDIALE où les candidats se font de plus en plus rares, aussi bien dans les activités commerciales, de gestion ou informatiques. Ce sont plusieurs dizaines de postes qui ne sont pas pourvus aujourd’hui, avec en plus des démissions qui se multiplient.

Pourquoi AG2R LA MONDIALE ne parvient-elle plus que difficilement à embaucher ?

Selon la direction ce serait principalement la conséquence d’un problème de société. Pour elle, les jeunes notamment auraient une vision différente du monde de l’entreprise et iraient plus vers des contrats courts, voire de l’intérim, « pour gagner de l’argent et aller ensuite faire le tour du monde ». La direction aurait-elle une vision étriquée de la société, construite avec des clichés ?

La CFDT pointe, elle, le manque d’attractivité du groupe.

Le statut des salariés n’est plus aussi avantageux que par le passé. Le niveau de salaire minimum est très bas, proche du SMIC, alors que le niveau de qualification requis est au moins BAC + 2.

On peut aussi pointer le manque de perspective d’évolution dans l’entreprise, alors que cette progression possible fût pendant longtemps un point fort de l’entreprise.

Enfin comment une entreprise pourrait-elle attirer de nouveaux talents alors qu’elle ne sait pas retenir en son sein ses propres salariés ? L’hémorragie de départs dans certaines activités comme le commercial, les fonctions centrales ou même la gestion le démontre.

Mais la direction a trouvé la solution miracle : demander aux salariés du groupe de participer à la campagne de recrutement.

Il s’agirait pour les collaborateurs de recommander des personnes dont le parcours et les qualités pourraient répondre aux besoins de recrutement.

Pour rendre l’opération attractive, la direction s’engage, si le recrutement s’avère concluant, à verser une prime de 1200 euros pour un poste de statut cadre ou commercial et de 800 euros pour un poste de statut non-cadre (en suivant le principe bien connu que les non cadres ont moins de valeur pour l’entreprise !).

L’opération de cooptation a été annoncée le 6 juillet à tous les collaborateurs du groupe par l’intranet de l’entreprise et par mail, sans aucune concertation avec les représentants du personnel et sans aucune information préalable. Le fameux « circulez y’a rien à voir » semble être un nouveau mode de fonctionnement de la direction. Surprenant dans un groupe paritaire !

Or, les démarches de cooptation souffrent de plusieurs dangers de dérives lorsqu’elles ne sont pas encadrées.

Le risque de discrimination et d’atteinte à la diversité.

Ainsi, elles risquent de favoriser les mécanismes de reproduction sociale, de féminisation/masculinisation ou d’ethnicisassions de certains métiers. Les incidences de la cooptation en termes de discrimination et de non-diversité sont réels.

Le risque d’iniquité de traitement.

La sélection équitable des candidats n’est pas garantie de fait par la cooptation. Plusieurs études montrent que les candidats cooptés peuvent être “dispensés” de certaines étapes de la procédure de sélection, ou leur sélection peut ne pas s’opérer dans les mêmes conditions d’objectivité que celle des autres candidats.

Dans ces conditions, la cooptation expose d’ailleurs l’entreprise à un risque juridique dès lors qu’elle ne permet pas une égalité de traitement des candidats.

Le risque de conflit entre collaborateurs.

La démarche de cooptation prévue par AG2R LA MONDIALE n’est pas désintéressée dans le seul but la valorisation et le développement de l’entreprise.

Le fait de verser une prime par candidat coopté peut engendrer des conflits larvés entre collaborateurs qui ont eu à présenter des candidats.

De plus, si la cooptation devient une activité mercantile, elle peut en adopter les travers : contrefaçon, fraude, publicité mensongère…

Il est important de garantir l’alignement des procédures d’évaluation des cooptés sur celles des autres candidats, mais également de réduire la part de recrutements pratiqués par cooptation.

Le fond de la démarche.

Ne devrait-on pas plutôt être fier de recommander une relation à son entreprise sans aucune carotte financière à la clé ? Être fier de suggérer à ses relations de participer à cette belle et grande entreprise à laquelle nous participons nous-même ? Être fier de leur permettre peut-être de participer aux mêmes projets enthousiasmants ?

Les différentes tensions vécues par les salariés du groupe, sur les salaires et les conditions de travail notamment, le climat social dégradé, n’ont-ils pas effrité cette fierté au fil des années ?

On peut aussi se poser une question : Si je paye pour obtenir des recommandations, sont-elles plus valables pour autant ? Rien ne le démontre.

Encadrer la démarche.

Reste que la cooptation peut être un outil intéressant pour une DRH qui a peut-être perdu son savoir-faire en matière de recrutement tant les embauches ont été rares ces dernières années.

Mais pour éviter les dérives que nous avons citées plus haut, il est indispensable d’encadrer la cooptation par un accord comme cela est fait dans beaucoup d’entreprises ou au minimum par une charte et un guide de bonnes pratiques, afin de garder les bénéfices du procédé et d’en atténuer les effets pervers en termes d’équité, de parité et d’impartialité.

Parmi les axes possibles que pourrait fixer un cadre, on pourrait trouver :

1. Travailler avec les opérationnels sur leurs représentations éventuelles des profils requis aux postes pour lesquels ils ont recours à la cooptation, les ramener aux compétences requises pour tenir le poste (qui peuvent être trouvées dans des viviers diversifiés).

2. Sensibiliser les personnes décisionnaires en termes de recrutement aux incidences de la cooptation sur la diversité.

3. Appliquer aux candidats cooptés la même procédure de sélection que pour les autres candidats (dans le cas d’un recrutement externe comme dans celui d’un recrutement interne).

4. Faire en sorte que la personne qui a coopté (identifié le candidat) ne participe pas ensuite à la procédure de recrutement.

5. Effectuer une analyse statistique des effectifs cooptés. Opérer éventuellement un suivi spécifique de la carrière de ces recrues par rapport à celle de personnes recrutées par un autre canal et occupant des fonctions comparables.

6. Expliquer les objectifs de recrutement de l’entreprise en termes de diversité pour que les salariés qui recommandent en soient les vecteurs (utiliser la cooptation pour diversifier le recrutement).

7. Limiter le recours à la cooptation par des quotas et s’assurer que la cooptation ne constitue pas la seule modalité de recrutement dans certains secteurs.

8. Démultiplier les réseaux de cooptation pour diversifier les profils. Il existe d’autres réseaux peu sollicités comme des réseaux d’écoles, des réseaux de femmes, certaines associations spécialisées…

Mais pour éviter les dérives et établir une charte ou un accord d’entreprise, il faudrait que la direction admette qu’elle ne détient pas la « vérité », qu’elle accepte la confrontation des points de vue, qu’elle permette la concertation.

Nous pouvons craindre que le leitmotiv de notre nouveau Directeur général, « on ne lâche rien », s’applique à tous les domaines de l’entreprise, y compris les relations sociales.

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Wack
Wack
1 année il y a

Très bonne analyse !

réflexion action
réflexion action
1 année il y a

Bientôt le corporate chez ag2r la mondiale. Les non corporate seront tout en bas car ils seront considérés comme des non assimilés, donc hors du groupe. Cela promet dans les futurs projets. La compétence n’est plus le seul critère mais c’est l’apport à l’entreprise qui comptera le plus.
Voilà les amis syndiqués l’avenir (ou non) dans le groupe..Future vaisseau amiral: Ag2r la Mondiale Corporate.

Le nouveau monde vous attend .
Le temps joue toujours pour les directions générale.

Anonyme
Anonyme
1 année il y a

Bonjour, dans votre article il serait bon de rappeler aussi que les cabinets de recrutement coûtent très cher et sont souvent utilisés pour les postes de cadre (le tarif est de plusieurs mois de salaire, la TVA en plus !). Personnellement je vois cette possibilité de cooptation comme une très bonne idée, et qui permettra de plus des économies !

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