Retraites : « La surprise est grande d’entendre des syndicats combattre une formule qu’ils ont pilotée avec succès »

Une tribune de François Charpentier publiée dans Le Monde rappelle que ceux qui ont créé le premier régime de retraite à points, sont les mêmes qui le dénoncent aujourd’hui.

« Le débat sur la réforme des retraites a pris un tour surprenant. Personne en effet n’ose dire la vérité. Du côté des partisans de la réforme, deux sujets sont sur la table. D’abord, l’âge de départ en retraite. Sur ce point il est clair qu’on ne pourra reculer cet âge que si les employeurs acceptent de sortir d’une logique de préretraites qui conduit à se séparer systématiquement des travailleurs les plus âgés pour les remplacer par des plus jeunes moins payés. Toute la difficulté vient du fait que si la France est entrée à reculons dans cette « culture de la préretraite » à la fin des années 1970, les cessations anticipées d’activité sont devenues le Graal auquel aspirent les salariés confrontés à des fins de carrière compliquées. Il faudra donc du temps pour sortir de cette culture.

Ensuite se pose la question de la durée de la période de transition pour passer du système actuel à un régime universel. 21 000 centenaires en 2016 et 270 000 en 2070, selon l’Insee (Insee Première, n° 1620, 3 novembre 2016). Le vieillissement de la population est tel qu’il ne permet pas d’imaginer qu’une réforme ne s’applique qu’aux « entrants » dans les régimes. Sauf à mettre en péril un système qui reste, quoi qu’on en dise, l’un des plus généreux du monde.

Du côté des opposants à la réforme, la surprise n’est pas moindre. En 1945, dans un pays ruiné, les créateurs de la Sécurité sociale mettent en place un régime d’assurance vieillesse « bas de gamme » pour les salariés du privé. Fonctionnaires, salariés des entreprises publiques, agriculteurs et indépendants préfèrent leurs régimes d’avant-guerre plus avantageux. Le mérite revient alors à la CGT d’obliger les cadres à cotiser dans l’assurance vieillesse de 1945 et de négocier avec la CGC et le patronat la mise en place d’un régime complémentaire en points : l’Agirc.

Adapter le système aux aléas économiques et démographiques

Au passage, notons que c’est Andréjean [de son vrai nom Adolphe Bourrand ], secrétaire confédéral de la CGT, signataire des accords Agirc de 1947, qui « invente » le premier régime à points de l’histoire. Ce régime, qui reconnaît les droits du passé jusqu’à l’année 1927 – y compris pour les périodes non cotisées par les prisonniers de guerre et les déportés –, ce que n’a pas fait l’assurance-vieillesse, sera l’objet d’un engouement extraordinaire. Au point d’être « dupliqué » pour les salariés non-cadres, sous la houlette d’Antoine Faesch (Force ouvrière) qui crée l’Arrco en 1961.

Ces deux régimes, étendus progressivement aux rapatriés d’Algérie, mineurs, chômeurs, personnels de la Sécurité sociale, des banques et des assurances, permettront de sortir les retraités de la misère dès la fin des années 1970. Résultat, l’Agirc, c’est aujourd’hui 57 % de la retraite d’un cadre, et l’Arrco, 31 % de celle d’un salarié non-cadre.
Dès 1960, Pierre Laroque, auteur des ordonnances créant la Sécurité sociale, s’est prononcé, dans un rapport sur le vieillissement remis au général de Gaulle, pour une évolution du système de 1945 vers un dispositif en points plus avantageux, sur le modèle de l’Agirc.
Les régimes qui se créeront par la suite (Ircantec, pour les agents non titulaires de l’État, régimes des médecins, notaires, avocats, etc.) fonctionnent eux aussi en points. Et nombre de pays étrangers (Allemagne, Suède, Italie, Estonie…) emprunteront ces vingt dernières années au génie français en adoptant des formules à points permettant d’adapter le système aux aléas économiques et démographiques. Et de garantir sa pérennité.

La surprise est donc grande aujourd’hui d’entendre des syndicats combattre une formule qu’ils ont pilotée avec succès. En dépit de l’arrivée de la génération du baby-boom à la retraite – 800 000 départs par an à partir de 2006, contre 400 000 précédemment –, ces régimes affichent plus de 70 milliards d’euros d’excédents.

L’étonnement est d’autant plus grand que les professions libérales, qui refusent de participer à la solidarité, en revendiquant le maintien d’un régime limité à un plafond de la Sécurité sociale contre les trois plafonds proposés dans le régime universel, souhaitent le développement d’une épargne retraite. Donc de formules de capitalisation combattues depuis toujours par les syndicats. Et dont ne veulent pas les Français, notamment les plus vulnérables ».

François Charpentier est journaliste et essayiste, spécialiste des questions de retraite

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