Retraites : l’âge pivot, un concept dépassé

Outre qu’il est injuste pour beaucoup de retraités, l’âge pivot porte atteinte à la liberté de décision des acteurs chargés de la gouvernance du régime universel, car l’on réintroduit des éléments de prestations prédéfinies, estime Jean-Marie Spaeth dans le journal Les Echos.

Un régime universel de retraite « par points » ouvert à toutes les catégories professionnelles, quel que soit leur statut, est un retour aux sources de 1945. Il a trois caractéristiques.

Les modalités de calcul des pensions sont les mêmes pour tous et permettent de reproduire, lorsqu’une personne décide de partir en retraite, une image fidèle de sa contribution financière tout au long de sa vie professionnelle.

Aujourd’hui, les régimes de retraite peuvent être qualifiés de régimes « à prestations prédéfinies ». La pension ne dépend pas de l’effort contributif tout au long de la vie professionnelle, mais est fonction de paramètres (âge, salaire de référence, pourcentage des derniers mois de salaire, etc.) propres à l’un des 42 régimes actuels.

Une expérience solide du point

Un régime par points est un régime par répartition. C’est toujours une « ponction » sur la masse salariale qui finance les pensions. C’est la consolidation de la solidarité entre générations à laquelle les Français sont attachés.

Un régime par points met à disposition des acteurs chargés de sa gouvernance, des « outils de pilotage » collectifs et individuels pouvant être utilisés tous les ans, de génération en génération, en toute équité.

L’expérience est solide : dès 1947 pour les cadres (Agirc), en 1956 pour les ouvriers de Renault, puis en 1961 par un accord interprofessionnel pour les salariés du privé (Arrco), et enfin par la loi de 1972 pour tous les salariés relevant du régime général, des retraites complémentaires par points furent introduites.

Créés quand l’âge légal de départ à la retraite du régime général était fixé à 65 ans, les régimes Agirc et Arrco ont été adaptés lorsqu’en 1983 cet âge a été abaissé à 60 ans, puis en 2010 lorsqu’il a été relevé à 62 ans.

Ils se sont adaptés aux cas spécifiques, les métiers comme celui des mineurs, les situations d’invalidité ou l’inaptitude. Des centaines de milliers de retraités perçoivent aujourd’hui une retraite complémentaire correspondant pour partie, dans un souci de solidarité, à des points non cotisés par eux-mêmes, pour prendre en compte des périodes de chômage, de maladie, ou simplement pour augmenter le niveau des pensions.

La valeur « d’achat » ou de liquidation du point, et la revalorisation annuelle des retraites, ont régulièrement été ajustées.

Contraire à l’esprit

Soixante-dix ans d’expérience montrent que des règles telles qu’un âge pivot ou la promesse d’indexer la valeur du point sur les salaires sont inutiles et contraires à l’esprit d’un régime par points. Pour quatre raisons :

1. Un âge pivot porte atteinte à la liberté des salariés d’arbitrer entre travailler plus longtemps pour améliorer leur pension, ou arrêter de travailler dès lors qu’ils ont atteint l’âge légal.

2. Il est injuste pour ceux qui prendront leur retraite avant d’atteindre l’âge pivot tout en respectant l’âge légal. Pour ces retraités, souvent parce qu’ils n’ont pas d’autres choix, particulièrement les 40 % de salariés au chômage avant la retraite, l’âge pivot introduit une double peine. Outre un capital de points plus modestes, on leur appliquera, en plus, un abattement de 10 % sur leurs pensions alors qu’ils auront respecté l’âge légal.

Ce système est injuste pour ceux qui prendront leur retraite avant d’atteindre l’âge pivot tout en respectant l’âge légal.

3. Il porte atteinte à la liberté de décision des acteurs chargés de la gouvernance du régime universel, car l’on réintroduit des éléments de prestations prédéfinies.

4. C’est un manque de confiance dans l’avenir de notre pays et la capacité des générations futures à prendre en compte les réalités économiques, sociales, démographiques, et le niveau de solidarité intergénérationnelle et professionnelle conforme aux aspirations des citoyens, qui évolueront.

Un régime de retraite par points a besoin de deux règles : l’une « d’or » est de ne jamais faire appel à l’emprunt ; l’autre est la fixation d’un âge légal minimum, 62 ans aujourd’hui comme l’a rappelé le président de la République.

Mélanger réformes systémique et paramétrique, c’est porter atteinte à l’esprit d’un régime universel de retraite par répartition par points, et c’est une vision de sa gouvernance « d’un autre monde ».

Jean-Marie Spaeth est ancien président de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV).

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