Interview de Marylise Léon au Monde : la CFDT est toujours aussi combative.

Le 29 août la nouvelle secrétaire générale de la CFDT a accordé une interview au journal Le Monde. Elle évoque les différents dossiers sociaux de la rentrée et la journée d’action interprofessionnelle du 13 octobre.

Elue le 21 juin à la tête de la CFDT, Marylise Léon hérite d’une centrale dont les troupes ont été renforcées par la bataille contre la réforme des retraites. Laissant derrière elle ce combat perdu, malgré une forte mobilisation, elle appelle, aux côtés de sept autres syndicats, à une journée d’action le 13 octobre en faveur du pouvoir d’achat et « contre l’austérité ». Dans un entretien au Monde, elle estime que la question salariale « se traite d’abord dans les entreprises et dans les branches professionnelles ». Et, alors que le gouvernement a décidé d’étaler dans le temps la suppression de la taxe sur la valeur ajoutée pour les entreprises, elle critique le « dogme » consistant à ne pas augmenter les impôts, une « impasse ».

L’intersyndicale a annoncé une journée d’action le 13 octobre. S’agit-il d’une revanche, d’une sorte de « match retour » après la défaite des organisations de salariés et de défense de la jeunesse dans la bataille contre la réforme des retraites ?

Ce n’est absolument pas l’état d’esprit de la CFDT. Nous sommes toujours aussi combatifs et déterminés à obtenir des améliorations pour les droits des travailleurs, mais nous n’avons pas de revanche à prendre sur le gouvernement. Nous continuons d’affirmer que la réforme des retraites est injuste, sachant que nos interlocuteurs privilégiés, ce sont les employeurs. Nous nous adressons à eux en priorité pour tirer vers le haut la situation des travailleurs au quotidien, et c’est avec eux qu’il faut négocier pour tenter de trouver des compromis. La préoccupation numéro un des salariés du privé, aujourd’hui, tourne autour des enjeux de pouvoir d’achat. C’est aussi vrai pour les agents de la fonction publique. Nous continuons donc notre boulot de syndicaliste en répondant présents sur des sujets sur lesquels nous sommes attendus.

Pourquoi inscrire cette journée du 13 octobre dans une campagne décidée par la Confédération européenne des syndicats (CES) ?

L’intersyndicale l’avait évoqué dès la mi-juin. Nous voulons nous appuyer sur cette démarche de la CES, qui intervient au moment où les règles de gouvernance économique, au sein de l’Union européenne, sont en train d’être révisées – avec notamment la disposition selon laquelle le déficit public ne doit pas excéder 3 % du PIB [produit intérieur brut]. De plus, les Etats membres, dont la France, s’apprêtent à débattre de leurs lois de finances pour 2024. Il s’agit donc de montrer que le monde du travail demeure mobilisé dans une période où les politiques menées sont susceptibles d’être synonymes d’austérité.

Le communiqué commun diffusé par l’intersyndicale est très général. Les organisations qui en sont membres réussiront-elles à s’entendre sur des revendications concrètes et précises ? Si oui, sur quels sujets ?

La question salariale se traite d’abord dans les entreprises et dans les branches professionnelles. Les organisations patronales ont pris des engagements dans l’accord national interprofessionnel conclu en février sur le partage de la valeur : elles vont devoir négocier sur les classifications, la mixité des métiers, la participation dans les entreprises de moins de cinquante personnes, etc. Si les syndicats parlent tous d’une même voix sur ces thèmes, ce sera un puissant levier d’action.

S’attaquer aux inégalités femmes/hommes en matière de rémunérations constitue un autre terrain sur lequel il est possible d’avancer ensemble. Les syndicats ne partent pas d’une page blanche puisqu’ils réfléchissent depuis plusieurs années à des améliorations de l’index d’égalité professionnelle, sur les écarts de salaires du point de vue du genre. Ils sont en capacité de porter collectivement des pistes d’évolution.

Quelles sont les mesures défendues par la CFDT sur les salaires ?

Nous demandons que des négociations s’ouvrent dans les entreprises comme dans les branches et qu’elles aient lieu régulièrement, pour tenir compte de l’inflation. Notre boussole, c’est qu’aucune convention collective n’ait des minima de rémunération inférieurs au smic. En cette fin de mois d’août, il y en a environ 95, contre 151 en mai, ce qui prouve que l’action syndicale permet de faire évoluer les grilles de salaire. Mais il subsiste encore des blocages. C’est pourquoi la CFDT estime qu’il faut suspendre les exonérations de cotisations sociales pour les entreprises évoluant dans des branches dont les conventions collectives ont des coefficients sous le smic.

Le gouvernement objecte que cette piste pose des problèmes de droit…

Effectivement, on nous dit que c’est juridiquement discutable. Mais j’aimerais qu’on nous réponde d’abord que c’est politiquement acceptable.

Dans certaines organisations, des voix s’élèvent pour recourir davantage à la grève afin de ne pas revivre ce qui s’est produit avec le mouvement social contre la réforme des retraites : une mobilisation massive mais infructueuse. La CFDT est-elle favorable à cette idée de hausser le ton ?

Quel est l’objectif ? Je ne sais pas ce qu’ont en tête ceux qui affirment qu’il n’y a que les arrêts de travail qui fonctionnent. Cette option figure dans la panoplie des actions syndicales, mais elle n’est pas forcément la plus efficace. L’idée selon laquelle il suffirait d’appuyer sur le bouton « grève générale » est une vue de l’esprit : ça n’existe pas. Et si le gouvernement a fait passer sa réforme des retraites, ce n’est pas parce que les syndicats n’ont pas su immobiliser complètement l’économie de notre pays.

L’intersyndicale s’est beaucoup appuyée sur la complicité nouée entre votre prédécesseur, Laurent Berger, et Philippe Martinez, qui était numéro un de la CGT avant d’être remplacé, à la fin mars, par Sophie Binet. Vos relations avec celle-ci sont-elles aussi fluides ? Faut-il tout reconstruire dans le rapport entre les deux confédérations ?

Ce n’est pas forcément qu’une question de personnes. Le contexte joue beaucoup. L’intersyndicale est en train de faire sa mue, en passant d’un message collectif contre la retraite à 64 ans à une réflexion commune sur les revendications qui peuvent être portées par toutes les organisations. En outre, l’entente entre deux responsables syndicaux se construit dans le temps, pas en deux mois. J’ai un profond respect pour Sophie Binet. Nous nous parlons très librement et de façon franche.

Cela peut-il se traduire par des étincelles ?

Par des étincelles, oui. Comme nous n’appartenons pas aux mêmes organisations, nous n’avons ni les mêmes analyses ni les mêmes préférences en termes de modalités d’action. Mais dès que nous avons des différends, nous en parlons et c’est ce qui prime. La qualité d’une relation s’apprécie en fonction de la capacité à se dire les choses. Il n’y a pas de raison que le binôme ne fonctionne pas.

Quel regard portez-vous sur le document d’orientation envoyé début août par le gouvernement au patronat et aux syndicats pour baliser leur négociation sur les règles de l’assurance-chômage ?

C’est une lettre de cadrage budgétaire, qui ne cherche pas à aborder le fond des sujets et qui ne parle pas des demandeurs d’emploi. Elle se concentre sur les économies qui ont été faites, sur la manière dont elles vont être réutilisées et sur les autres qu’il faut réaliser. On est sur une trajectoire budgétaire inédite, extrêmement dure. C’est la boussole du gouvernement : budget et économies. On ne voit pas quelle est la vision, quel est le projet de société et quels sont les moyens que l’exécutif est prêt à consacrer en faveur du retour à l’emploi des chômeurs.

Nous, nous savons ce que nous voulons. Nous entrerons en négociation parce que nous voulons défendre les droits des demandeurs d’emploi. Pour le moment, un acteur s’est peu dévoilé : c’est le patronat. La question est de savoir si entre organisations de salariés et d’employeurs, nous sommes capables de trouver des points d’accord.

Jugez-vous que le paritarisme à l’assurance-chômage est condamné à court ou moyen terme, l’Etat dictant de plus en plus sa loi à ce régime ?

L’Etat a toujours été derrière le rideau. Dès lors, il y a une forme de tripartisme qui ne dit pas son nom : on le voit bien à travers la lettre de cadrage transmise début août par le gouvernement. La CFDT est prête à prendre acte de cette situation, ce qui ne veut pas dire renoncement au paritarisme. Nous souhaitons mettre la lumière sur la réalité de la place de l’Etat dans le régime. Un ménage à trois peut marcher, à condition que le gouvernement soit convaincu que les organisations syndicales apportent une plus-value, ce qu’il doit encore démontrer.

Le patronat s’oppose à la volonté du gouvernement de ponctionner 12 milliards d’euros d’ici à 2026 dans les caisses de l’Unédic, l’association paritaire gestionnaire de l’assurance-chômage, notamment pour financer le futur opérateur France Travail. Allez-vous vous coaliser avec les mouvements d’employeurs pour faire reculer les pouvoirs publics ?

Le rôle de l’assurance-chômage est de verser une allocation à des personnes pour qu’elles puissent vivre correctement et chercher un emploi. Il faut donc aussi penser à leur accompagnement. Le pouvoir en place dit agir dans cette optique en créant l’opérateur France Travail, qui se mettra au service de ceux qui en ont le plus besoin. Ça va nécessiter des moyens financiers.

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Le fait que l’Unédic y contribue ne me semble pas absurde. Mais il faut un peu plus de clarté sur ce qui est financé et sur la façon dont le dispositif va fonctionner : là-dessus, nous n’avons pas toutes les réponses. Mais nous sommes probablement moins vent debout que d’autres organisations sur cette problématique. Ceci étant, nous sommes aussi attachés à ce que les excédents dégagés par l’assurance-chômage participent à la résorption de la dette de l’Unédic.

Le gouvernement a indiqué que certaines baisses d’impôts en faveur des entreprises seraient davantage étalées dans le temps, tout en maintenant sa volonté de réduire la pression fiscale. Qu’en pensez-vous ?

Le dogme consistant à ne pas augmenter les impôts ou à ne pas en créer de nouveaux est une impasse, qui prive le gouvernement de nouvelles recettes alors que les besoins sociaux à financer sont considérables. De plus, compte tenu de la crise démocratique que le pays est en train de traverser, il est fondamental que des actes forts soient posés en termes de justice sociale. Sinon, le consentement à l’impôt risque de s’émousser encore plus.

Durant vos premières prises de parole en tant que secrétaire générale, vous avez beaucoup mis l’accent sur la transition écologique. La CFDT veut-elle se montrer encore plus allante sur le sujet ?

On a devant nous un mur, un défi colossal à relever, avec la transformation de l’appareil de production et de nos modes de vie. La CFDT est prête à assumer des décisions difficiles, notamment quand il faudra envisager des reconversions professionnelles, ce qui impliquera de traiter de front l’emploi, la formation, le renouvellement des compétences, etc. On ne pourra pas le faire sans les travailleurs : je suis même convaincue que ceux-ci seront les accélérateurs de tous ces changements.

Vous avez pris la tête de la CFDT le 21 juin. Comment se passe votre entrée en fonctions ?

Très bien. C’est une grande responsabilité et une grande chance. L’organisation est solide, cohérente, enthousiaste et en bonne santé. Nous avons eu environ 55 000 nouvelles adhésions depuis janvier, et la dynamique continue, même depuis la fin du mouvement social contre la réforme des retraites. Je me sens portée par le collectif.

Comment vous situez-vous par rapport à Laurent Berger, auquel vous avez succédé ? Vous inscrivez-vous dans la continuité ou souhaitez-vous vous singulariser ?

La CFDT, c’est un collectif, et non pas une personne seule, qui donne la ligne et décide de tout. Nous ne sommes pas dans le syndicalisme de slogans, ni une organisation dogmatique. Notre première préoccupation, c’est le travail réel. Là-dessus, il n’y aura pas de virage ; je m’inscris dans la continuité de mon prédécesseur. Après, je ne « ferai certainement pas du Laurent Berger ». L’idée n’est pas de me démarquer à tout prix, elle est simplement d’être moi-même.

Pensez-vous qu’Emmanuel Macron va changer dans son rapport aux partenaires sociaux après la bataille des retraites, alors qu’il a annoncé vouloir plus prendre en considération leur parole ?

On a eu moult promesses. Maintenant, on attend des actes.

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